Élimination du dioxyde de carbone par l’altération accélérée des roches : quel est le rôle du carbone organique ?

Élimination du dioxyde de carbone par l’altération accélérée des roches : quel est le rôle du carbone organique ?

L’altération accélérée des roches (AAR) – qui consiste à accélérer l’altération naturelle des minéraux silicatés par l’épandage de roches concassées sur les sols des terres cultivées – est de plus en plus reconnue comme une stratégie prometteuse pour la capture du CO₂ atmosphérique. En fixant chimiquement le carbone tout en améliorant la fertilité des sols et en favorisant la croissance des plantes, l’AAR pourrait offrir un double avantage : l’atténuation du changement climatique et la productivité des écosystèmes. Cependant, elle peut également engendrer des effets secondaires indésirables qui altèrent durablement les sols qui nous nourrissent, et ce, pendant des décennies, voire plus.

La modélisation globale suggère une forte réponse du carbone organique

Une étude publiée en 2021 dans Nature Geoscience  Nature Geoscience et menée par Daniel Goll (LSCE) a utilisé des modèles écosystémiques globaux pour évaluer le potentiel d’amendement des sols par des roches basaltiques concassées. L’analyse suggère que ces roches pourraient permettre une élimination du CO₂ bien supérieure à celle attendue pour la formation de carbonates par altération des silicates. Cette élimination supplémentaire est due à l’effet positif des roches basaltiques sur la fertilité des sols, stimulant la croissance des plantes ainsi que l’absorption et le stockage du CO₂ par l’écosystème. Ces travaux démontrent pour la première fois la nécessité de prendre en compte les réponses du carbone organique et inorganique lors de l’évaluation de l’élimination du CO₂ par les roches basaltiques concassées.

Une étude de suivi publiée dans Nature Communications en 2025 et menée par Yann Gaucher (LSCE) a démontré les implications considérables de cette technique pour l’atténuation du changement climatique. L’étude a révélé que la valorisation énergétique des déchets (ERW) peut réduire les coûts liés à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris, ainsi que la dépendance à l’égard d’autres technologies de captage du dioxyde de carbone moins durables. À l’aide d’un modèle intégré du cycle du carbone, du climat et du système énergétique, l’étude a montré que l’application de basalte aux forêts pourrait tripler le niveau de séquestration de carbone induit par l’ERW par rapport à son application classique limitée aux terres cultivées (Figure 1). La modélisation réalisée au LSCE a positionné l’ERW comme une option d’émissions négatives applicable à grande échelle, tout en soulignant la nécessité d’une validation empirique en conditions réelles, notamment pour son application en forêt, jusqu’ici négligée.

Figure 1: Cumulative carbon dioxide removal (CDR) till the end of the 21st century in scenarios where surface warming was limited to 1.5 C warming (with a temporary overshoot of temperatures beyond that warming target). Shown are scenarios with varying mix of carbon dioxide removal technologies: only Bio-energy with Carbon Capture and Storage (BECCS), BECCS & Enhanced Rock weathering (ERW) on cropland, BECCS & ERW on cropland and on forests.

Les essais sur le terrain confirment les prévisions du modèle.

Des expérimentations d’application de wollastonite en forêt permettent de tester les prédictions du modèle concernant l’importante réponse du carbone organique à cette effusion de fer. Les premiers résultats confirment les simulations du modèle. Dans une plantation de mélèzes de 20 ans située dans le nord-est de la Chine, de la poudre de wollastonite a été appliquée à deux doses (5 et 10 t ha⁻¹). Une nouvelle étude, publiée dans Forest Ecology and Management , a montré que la wollastonite influençait les émissions de CO₂, stimulait l’activité racinaire et favorisait la croissance des arbres. La séquestration nette de carbone due à la wollastonite a été estimée entre 2,4 et 6,3 t ha⁻¹ an⁻¹, principalement due à l’accumulation de carbone organique. Ces résultats confirment les prédictions du modèle selon lesquelles les effets de la wollastonite sur le stockage du carbone organique peuvent être supérieurs à la réponse attendue du carbone inorganique.

Des travaux complémentaires (here, here, here & here) menés dans une plantation d’hévéas tropicale sur sols acides démontrent comment les résidus de traitement des sols (RTS) influencent de nombreux aspects du fonctionnement de l’écosystème, au-delà du carbone organique, notamment la dynamique des nutriments, la multifonctionnalité de l’écosystème, le fonctionnement microbien et les voies de stabilisation du carbone organique du sol. Sur une période de deux ans, l’ajout de wollastonite a augmenté le pH du sol, amélioré la disponibilité du phosphore et l’efficacité d’utilisation du carbone par les micro-organismes, tout en stimulant les enzymes impliquées dans la solubilisation et la minéralisation du phosphore. Les RTS ont également modifié les stratégies racinaires et la composition microbienne des plantes, favorisant l’acquisition des ressources par une plus grande dépendance aux associations mycorhiziennes et aux exsudats racinaires, ainsi que l’accumulation de carbone organique du sol stabilisé par des associations minérales. Ces changements ont amélioré la multifonctionnalité de l’écosystème, notamment la fertilité du sol, la santé des plantes et le stockage du carbone organique du sol, démontrant ainsi les profonds impacts des RTS sur le fonctionnement de cette forêt.

Ensemble, ces études apportent la confirmation expérimentale que les ERW peuvent être bénéfiques à la fois pour la séquestration du carbone et pour le fonctionnement des écosystèmes dans divers types de forêts.

Une synthèse globale révèle une grande variabilité des réponses.

Une méta-analyse mondiale de 74 publications parues dans Global Change Biology a synthétisé les résultats obtenus dans différents climats et écosystèmes. L’étude a confirmé l’existence de variations substantielles du carbone organique en réponse indirecte aux eaux de pluie, variations qui peuvent surpasser la réponse attendue du carbone inorganique induite par ces eaux (Figure 2).

Figure 2: Relative change in intended inorganic carbon response (blue) and indirect response of organic carbon (yellow) in a compilation of 74 ERW experiments.

En moyenne, l’épandage de résidus de récolte (ERW) a augmenté la teneur en carbone organique du sol et ses fractions stables de 3 à 7 %, bien que les effets varient selon l’environnement et l’échelle de temps. Cependant, de nombreuses études ont montré des réponses mineures, voire des pertes de carbone du sol, dues à l’ERW. Les impacts positifs étaient plus marqués dans les régions chaudes et humides et au cours des cinq premières années d’application, tandis que les effets à plus long terme dans les régions plus froides ou plus sèches étaient plus faibles, voire négatifs. Cette synthèse souligne l’importance globale des réponses du carbone organique du sol à l’ERW et montre également que des pertes de carbone du sol se produisent, pouvant compenser l’élimination du dioxyde de carbone par l’ERW.

Ensemble, ces études retracent une progression allant de la théorie basée sur des modèles aux essais à grande échelle dans les forêts tempérées et tropicales, jusqu’à une synthèse mondiale. Le tableau qui se dessine confirme que l’ERW peut permettre une élimination significative du CO₂ tout en améliorant la fertilité et la résilience des écosystèmes, mais souligne également que les résultats dépendent du climat, des conditions du sol et des pratiques de gestion.

C-ROCK: Soil carbon responses to enhanced weathering

Le nouveau projet C-ROCK, piloté par le LSCE, s’intéresse désormais à la réponse incertaine du carbone organique et inorganique. En collaboration avec Eco&Sols (Montpellier, France), le Laboratoire clé du Shaanxi (Xi’an, Chine), l’Université d’Anvers et la start-up française ClimeRock,, C-ROCK quantifiera la réponse des stocks de carbone organique et inorganique aux eaux de fonte, en se concentrant sur les interactions entre les processus d’altération abiotiques et les réponses biotiques des écosystèmes.

En intégrant des essais en plein champ, nouveaux et en cours, menés sur des terres cultivées et en forêt sous différents climats, et en les combinant à une modélisation basée sur les processus, C-ROCK vise à déterminer dans quelles circonstances l’utilisation des eaux usées traitées (EUT) favorise la séquestration du carbone dans les sols et dans quelles circonstances elle risque d’accélérer les pertes de carbone. Le projet développera également, en collaboration avec les parties prenantes, des stratégies de suivi et des outils de modélisation, afin de garantir des estimations robustes et adaptables du potentiel de séquestration du carbone par les EUT.

Cette initiative novatrice a pour objectif de fournir les données probantes essentielles pour orienter le déploiement responsable des EUT, en faisant le lien entre les expériences locales prometteuses, les évaluations du potentiel à l’échelle mondiale et les applications concrètes.

Contact: Daniel Goll (LSCE)

References

  • Goll, DS., Philippe Ciais, Thorben Amann, Wolfgang Buermann, Jinfeng Chang, Sibel Eker, Jens Hartmann, Katsumasa Tanaka et al. « Potential CO2 removal from enhanced weathering by ecosystem responses to powdered rock. » Nature Geoscience 14, no. 8 (2021): 545-549.
  • Bi, Boyuan, Guochen Li, Daniel S. Goll, Luxiang Lin, Hui Chen, Tongtong Xu, Qiong Chen et al. « Enhanced rock weathering increased soil phosphorus availability and altered root phosphorus‐acquisition strategies. » Global Change Biology 30, no. 5 (2024): e17310.
  • Gaucher, Yann, Katsumasa Tanaka, Daniel JA Johansson, Daniel S. Goll, and Philippe Ciais. « Leveraging ecosystems responses to enhanced rock weathering in mitigation scenarios. » Nature Communications 16, no. 1 (2025): 3021.
  • Xu, Tongtong, Zuoqiang Yuan, Sara Vicca, Daniel S. Goll, Guochen Li, Luxiang Lin, Hui Chen et al. « Enhanced silicate weathering accelerates forest carbon sequestration by stimulating the soil mineral carbon pump. » Global Change Biology 30, no. 8 (2024): e17464.
  • Chen, Qiong, Daniel S. Goll, Mardin Abdalqadir, Xinjian He, Guochen Li, Boyuan Bi, Tongtong Xu et al. « Divergent responses of carbon and nitrogen functional genes composition to enhanced rock weathering. » Communications Earth & Environment 6, no. 1 (2025): 645.
  • Wang, Xing, Guochen Li, Arshad Ali, Camelia Algora, Manuel Delgado-Baquerizo, Daniel S. Goll, Sara Vicca et al. « Enhanced rock weathering boosts ecosystem multifunctionality via improving microbial networks complexity in a tropical forest plantation. » Journal of Environmental Management 373 (2025): 123477.
  • Xu, T., Li, H., Vicca, S., Goll, D. S., Beerling, D. J., Chen, Q., … & Yuan, Z. (2025). Enhanced Rock Weathering Promotes Soil Organic Carbon Accumulation: A Global Meta‐Analysis Based on Experimental Evidence. Global Change Biology, 31(9), e70483.
  • Wu, Z., Su, C., Gao, M., Kang, R., Goll, D. S., Yao, M., … & Fang, Y. (2025). Carbon sequestration induced by enhanced silicate rock weathering in a temperate larch plantation in Northeastern China. Forest Ecology and Management, 597, 123135.