L’expansion agricole dans la Pampa uruguayenne et ses impacts retracés sur huit décennies

L’expansion agricole dans la Pampa uruguayenne et ses impacts retracés sur huit décennies

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’expansion agricole en Amérique du Sud transforme durablement les écosystèmes, mais les données permettant d’en mesurer les conséquences restent rares. Une étude internationale, pilotée par le LSCE, fondée sur l’analyse de sédiments uruguayens, souligne les impacts de l’agriculture intensive sur ces territoires.

Ce déficit de données disponibles est particulièrement marqué en Amérique du Sud, région où l’agriculture s’est rapidement développée au détriment des biomes naturels. Si la déforestation de l’Amazonie fait souvent la une des médias, d’autres biomes, riches en carbone et biodiversité, restent largement méconnus, à l’instar de la Pampa qui recouvre de vastes étendues de prairies naturelles à travers l’extrême-sud du Brésil, le nord-est de l’Argentine et l’Uruguay. Ces prairies, traditionnellement utilisées pour faire de l’élevage extensif, sont peu à peu remplacées par les plantations de pin, d’eucalyptus et de soja.

Pour la première fois, une étude portée par le LSCE en collaboration avec ses partenaires d’Amérique du Sud (Instituto de Ecologia y ciencas ambientales and Laboratorio de Radioquimica, in Montevideo,Uruguay), de France (laboratoire Edytem et le BRGM) et de Suisse (Environmental Geosciences, Basel and Nuclear Chemistry Division, Spiez), a permis de reconstruire l’impact de ces changements sur la dégradation des sols. Cette recherche s’inscrit dans le cadre du projet international (IRP) CNRS CELESTE Lab et du projet ANR franco-suisse AVATAR.

L’analyse multi-proxies d’une carotte sédimentaire prélevée dans le réservoir du barrage de Rincón del Bonete en Uruguay, inauguré en 1945 et considéré comme l’un des plus anciens barrages du continent, a permis de reconstituer l’évolution des flux sédimentaires et des transferts de pesticides dans la région. Cette approche met en évidence l’empreinte claire des transformations agricoles et révèle une succession de phases distinctes, dont deux étapes marquantes :

  • une période caractérisée par une érosion minimale grâce à l’implémentation du semis direct et à la rotation des pâturages (1991-2007),
  • une phase d’accélération de l’érosion sans précédent (2007-2023), liée à la conversion importante des terres et à l’intensification de l’usage des pesticides.

Cette dernière dynamique reflète notamment la forte demande internationale en denrées comme le soja et le bois, qui accroît les pressions sur les zones naturelles, leur conversion en terres agricoles et plantations, et accentue ainsi l’érosion des sols.

Par ailleurs, la détection récente d’une remobilisation de DDT – insecticide interdit depuis plusieurs décennies en raison de sa toxicité – souligne par ailleurs la persistance dans les sols de polluants hérités d’activités passées, susceptibles d’être remobilisés en cas de changement d’usage des sols.

L’ensemble de ces résultats met en évidence l’empreinte durable de l’agriculture intensive sur les paysages sud-américains et alerte sur les menaces induites par l’intensification actuelle des pratiques agricoles pour les ressources en sol et en eau.

Référence : Bardelle, A., Gastineau, R., Guillevic, F., Foucher, A., Chaboche, P. A., Corcho-Alvarado, J. A., … & Evrard, O. (2025). The hidden consequences of agricultural development: Soil degradation and pesticide contamination in the South American Pampa. Science of The Total Environment, 1002, 180584. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2025.180584