Atlantique Nord, 2023. Une vague de chaleur marine à l’origine d’un puits de CO2 océanique anormalement faible

Atlantique Nord, 2023. Une vague de chaleur marine à l’origine d’un puits de CO2 océanique anormalement faible

Une étude récente par une équipe de recherche internationale dirigée par l’ETH Zürich et avec la participation de chercheur·e·s du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE-IPSL) a montré qu’en 2023, les océans ont absorbé près d’un milliard de tonnes de CO2, soit environ 10 % de moins que prévu sur la base des années précédentes. Cela correspond à environ la moitié des émissions totales de CO2 de l’UE. Cette diminution du puits océanique est une conséquence directe des extrêmes de température de la surface de la mer en 2023 dans les régions extratropicales de l’hémisphère nord, en particulier dans l’Atlantique Nord.

https://www.ipsl.fr/article/atlantique-nord-2023-une-vague-de-chaleur-marine-a-lorigine-dun-puits-de-co2-oceanique-anormalement-faible/

À ce jour, les océans ont absorbé environ un quart des émissions de CO2 des activités humaines. Sans ce puits, la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait beaucoup plus élevée et le réchauffement climatique aurait déjà largement dépassé la limite de 1,5 °C. Dans le même temps, l’océan absorbe environ 90 % de la chaleur supplémentaire provenant de l’atmosphère. Ils contribuent ainsi à stabiliser le système climatique mondial.

En 2023, les températures de surface des océans ont atteint des niveaux records sur de vastes régions. Le Pacifique tropical était très chaud en raison d’un fort épisode El Niño. Dans le même temps, les océans situés en dehors des tropiques, en particulier l’Atlantique Nord, se sont également réchauffés de manière exceptionnelle. Alors que l’incidence des épisodes réguliers El Niño sur le puits de CO2 océanique est bien documentée depuis les années 1980, il en va tout autrement de l’effet des températures record en zone extratropicale. Une équipe de recherche internationale avec la participation du LSCE a pour la première fois quantifié l’impact des températures extrêmes sur le puits de CO2 océanique à l’échelle globale.

Dans l’étude publiée dans la revue Nature Climate Change, les chercheur.e.s montrent qu’en 2023, les océans ont absorbé près d’un milliard de tonnes de CO2, soit environ 10 % de moins que prévu sur la base des années précédentes. Cette évolution du puits océanique reflète la superposition de l’épisode El Niño et des fortes chaleurs aux latitudes Nord extratropicales. El Niño tend à renforcer la capacité globale de puits de carbone des océans. Son influence sur le puits de CO2 s’explique par l’affaiblissement de la circulation dans le Pacifique tropical, empêchant les eaux froides riches en CO2 de remonter à la surface. En conséquence, le Pacifique tropical oriental, qui libère normalement de très grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère, n’en émet pratiquement pas pendant les années El Niño.

Mais au cours de l’année 2023 et à l’échelle globale, l’effet El Niño a été largement atténué par une diminution du puits de CO2 océanique dans les régions extratropicales de l’hémisphère nord, en particulier dans l’Atlantique Nord. En effet, les températures élevées ont réduit la solubilité du CO2, ce qui a entraîné un dégazage de CO2. Cependant, comme illustré durant un évènement El Niño, le fait que l’océan absorbe ou libère du CO2, ne dépend pas uniquement de la température. Il faut en effet compter sur les processus physiques et biologiques dans l’océan qui compensent le dégagement de CO2 et renforcent le puits de CO2.

Ces processus réduisent la concentration de carbone inorganique dissous (CID) dans les couches superficielles. La réponse de l’océan aux températures extrêmes de 2023 reflète donc la concomitance de deux effets : le dégazage induit par la température et l’épuisement du CO2 dissous dans la couche de surface de l’océan. Si, à l’heure actuelle, l’effet de la température est compensé par des processus réduisant le CID, l’évolution future du puits océanique sous un climat plus chaud reste incertaine. L’efficacité des mécanismes de compensation de limiter le relargage de CO2 lié aux extrêmes de température reste une question ouverte.

Pour en savoir plus

Références et notes

1. Müller et al. (2025) Unexpected decline in the ocean carbon sink under record-high sea surface temperatures in 2023. Nat. Clim. Change 15, 978–985. https://doi.org/10.1038/s41558-025-02380-4

N. B. : Cette étude est la première à quantifier la réponse du puits de CO2 océanique aux extrêmes de température à l’échelle globale. Elle s’est appuyée sur les observations de CO2 effectuées à partir de navires de recherche, de cargos et de bouées de mesure (2), combinées à des données satellitaires et à l’apprentissage automatique (3), afin d’établir des cartes mondiales des niveaux de CO2 en surface. Cela leur a permis de calculer les flux de CO2 entre l’eau et l’air à la surface de la mer.

2. Bakker et al. (2016) A multi-decade record of high quality fCO2 data in version 3 of the Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT). Earth System Science Data 8, 383-413. doi:10.5194/essd-8-383-2016. Les observations de CO2 de surface sont contrôlées et compilées annuellement dans la base de données internationale SOCAT à laquelle communauté française contribue activement.

3. Notamment les sorties du réseau de neurones développé au LSCE (Chau et al. (2024) CMEMS-LSCE: a global, 0.25°, monthly reconstruction of the surface ocean carbonate system, Earth Syst. Sci. Data, 16, 121–160, https://doi.org/10.5194/essd-16-121-2024, 2024), distribuées par le portail CMEMS
https://data.marine.copernicus.eu/product/MULTIOBS_GLO_BIO_CARBON_SURFACE_MYNRT_015_008/description

Contacts
Marion Gehlen
, LSCE-IPSL •

Olivier Marti, LSCE-IPSL •

Marion Gehlen et Olivier Marti


Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement – LSCE-IPSL

Carte des océans mondiaux (a) avec les anomalies des flux CO2 et des températures de surface de la mer (SST) pour l’année 2023 par rapport à la tendance linéaire (1990-2022). (b) Latitudes avec des températures élevées (rose) et une faible absorption de CO2 due au dégazage (turquoise). (Graphic: Jens Daniel Müller / ETH Zurich)