Dans le cadre du projet CASIMODO, qui s’inscrit dans le vaste chantier scientifique de Notre Dame, nous avons cherché à identifier les conditions environnementales et sylvicoles dans lesquelles les arbres de la charpente médiévale de Notre Dame de Paris s’étaient développés.
En particulier, nous avons souhaité vérifier si les hypothèses suivantes, communément admises, étaient fondées :
- Un vaste défrichement s’est produit aux 12e-13e siècles dans le Bassin parisien, entraînant une réduction significative des forêts,
- les chênes utilisés pour la construction de l’édifice étaient des arbres remarquables par leur taille et leur âge
- L’Optimum Climatique Médiéval, période au cours de laquelle se sont développés les chênes, a été une période chaude et clémente.
Pour répondre à ces questions, nous avons consulté les sources documentaires du Chapitre de Notre Dame, les contenus palynologiques et anthracologiques de sédiments de lacs et de sites archéologiques du Bassin Parisien (29 et 47 sites respectivement) et nous avons étudié les bois eux-mêmes, notamment leurs schémas de croissance et leur composition isotopique.
Les actes du Chapitre de ND ont révélé qu’une administration forestière était en place dès la fin du 12e pour protéger la forêt d’utilisations abusives de ses ressources et que la forêt médiévale, fait déjà connu, était une forêt paysanne, ouverte (avec des zones de pâturage et de culture) et gérée.
Les données polliniques et anthracologiques témoignent de nombreux épisodes de déboisement, parfois suivis de reprises forestières. Ces épisodes sont toutefois asynchrones, échelonnés tout au long du moyen-âge du 8e au 15e siècle. Rien n’indique un déboisement généralisé au 12e siècle. L’histoire de la forêt du Bassin Parisien est, au contraire, locale et variée. Le paysage médiéval de cette région est une mosaïque de forêts, de landes à genêts et de cultures. Au cours du Haut Moyen Âge, le chêne et le hêtre sont les essences les plus utilisées dans les activités humaines. Au bas Moyen-Âge (XIIe), la consommation de hêtre diminue considérablement, tandis que l’exploitation du chêne reste relativement constante. Parallèlement, l’exploitation du charme et du saule progresse. Ces observations suggèrent une gestion contrôlée des boisements, combinant défrichement, plantation et gestion d’arbres à des fins utilitaires.
Le cœur de certains bois de la charpente calcinée de Notre Dame a été chauffé mais pas brûlé pendant l’incendie de 2019. La variation cerne à cerne de la composition isotopique de l’oxygène de la cellulose de ces bois a donc pu être déterminée. Cette information, combinée à celles obtenues dans 34 bois contemporains de la cathédrale de Reims, et des abbayes de Preuilly et de Bonport, a été utilisée pour reconstituer les variations de la température et de l’humidité estivales médiévales.
Le climat de 1046-1240 était probablement moins chaud, d’environ 1°C, et sensiblement plus humide que celui de la période de référence 1993-2007. Concernant la largeur des cernes, les arbres de Notre-Dame montrent une croissance à la fois banale et originale. Banale, car chaque arbre de la charpente peut trouver son homologue dans la forêt actuelle. Originale, car en moyenne, ces arbres avaient une croissance plus rapide dans leur jeune âge et plus lente dans leur maturité que mes arbres actuels. Cette croissance atypique pourrait être causée par une pratique sylvicole favorisant les rejets sur souche.
En conclusion, nous avons montré qu’il n’y avait pas eu d’épisode unique et de grande envergure de défrichement aux 12e-13e, que les chênes utilisés pour la construction de la charpente n’étaient pas des arbres aux dimensions remarquables et qu’ils avaient poussé dans des conditions un peu moins chaudes et un peu plus humides qu’actuellement.
Référence : Daux V., Dupouey J.L. , Aoustin A., Brossier B., Garnier E., Du Boisgueheneuc D., Claustre J., Coubray S., Durand A., Dubuisson G., Girardclos O., Leroyer C., Lefebvre-Duprey S., Penagos C., Dufraisse A. Si le bois nous était conté : climat, défrichement, sylviculture au Moyen-Âge. Colloque interdisciplinaire « Notre-Dame de Paris sous l’œil des scientifiques », 22-24 Avril 2024.